A l’âge où le petit Prince te demande encore de dessiner des moutons, et les autres adolescents saoûlent leurs parents pour avoir un scooter, il est déjà n°10 mondial.
Champion du monde junior 2016 (en étant cadet !), vainqueur de l’open de République Tchèque sénior 2017, et champion du Japon 2018.
Ne cherche plus. Il est là, le nouveau Messie, le nouveau Bouddha du ping.
Oui, il est l’élu. Le Keanu REEVES aux yeux plissés. Entré dans la matrice pongiste juste pour plier l’hégémonie chinoise.
Car sa vie entière a été dédiée à la plus noble des disciplines : le tennis de table.
Sa naissance déjà. En effet, prise de contractions alors qu’elle passe devant le gymnase de Sendaï, sa mère accouche le 27 juin 2003 sur une table Cornilleau (tu noteras qu’effectivement la firme picarde diversifie son offre depuis plusieurs années). Cette péripétie obstétricale scellera le destin du petit Tomokazu à jamais. Car décelant son énorme potentiel dès son premier cri, impressionné par le volume sonore, l’entraineur du club local l’arrache à ses parents, en même temps qu’il coupe le cordon ombilical à grands coups de bois Hinotec. Et il le confie immédiatement à une congrégation de moines SHAOLIN. Tomokazu passera donc la première partie de son enfance dans un temple entièrement dédié à la balle plastique. Après ses 9 heures de ping quotidiennes, il s’enquillera 4 heures de Kung-Fu. Puis il doit ensuite déambuler lentement, durant trois heures, dans le jardin japonais, à se taper les leçons d’éthique et de morale de maître Po, qui s’obstine à l’appeler « Petit scarabée ». La purge... A se taper ainsi de longues rhétoriques sur le vent, la pluie, le soleil, le Bien, le Mal, et les papillons. Et sans pouvoir dire un mot. Car Tomokazu a fait vœu de silence. Ses cordes vocales s’en souviendront. Et le feront payer cher à ses futurs adversaires.
Mais quand maître Po commencera à lui demander lors de leurs longues promenades matinales s’il aime les films de gladiateurs, et les corps musclés et huilés, Tomokazu comprendra que c’est le moment opportun pour passer le test, et pour battre de ses propres ailes.
Profitant alors d’un retour de boîte de maître Po, déchiré, et à 2 grammes, il réussit enfin, un dimanche matin, à arracher la balle DHS dans la paume de la main de son mentor. Et ce avant qu’il n’ait eu le temps de la refermer.
Voilà, après 12 années passées loin du monde, le Monde allait enfin tâter du top spin de Tomokazu. En 2015, HARIMOTO pouvait enfin aller seul sur les chemins des Opens et des compétitions internationales.
Avec des débuts fracassants, dès sa première apparition au tournoi Safir 2015, en Suède, au cours duquel il scalpe Jens LUNDQVIST, top 100 mondial, à l’âge de 12 ans. Puis suivront Tan RUIWU, Hugo CALDERANO, le champion d’Europe junior 2015 Anton KALLBERG…Et bien d’autres ensuite, tous aussi prestigieux les uns que les autres. HARIMOTO intègre donc naturellement l’équipe nationale du Japon, à l’âge où normalement tu ne peux faire que ramasseur de balles. Tomokazu gagne alors le respect des plus grands: quand il le croise Jan Owe WALDNER met ainsi un genou au sol. Et Vladimir SAMSONOV lui baise les pieds...
Et donc, ce week-end, petite apothéose, sur ses terres : il remporte l’Open du Japon 2018, en tordant Ma LONG 4/2 en quart de finale, puis ZHANG Jike 4/3 en finale, multi-champions du monde et olympiques. Dans le nouveau rôle que lui aura attribué la fédé japonaise : tueur de Chinois. A l’approche et en pleine préparation des JO de Tokyo 2020. A priori Tomokazu est en avance. Et déjà prêt.
Pourtant, malgré son exceptionnelle précocité, et son incroyable talent (même Wolfgang Amadeus MOZART prendrait 3/0) HARIMOTO ne fait pas l’unanimité dans la communauté pongiste. En tout cas sur les forums français. Car il crie très fort après chaque point qu’il gagne… Le pongiste tricolore est en effet un être délicat, aux membranes tympaniques sensibles. L’habitude de jouer dans des bibliothèques probablement.
Mais note bien que ce hurlement n’est pas agressif. Non, ce cri primal, qui vient du fond des âges, et de sa petite poitrine, c’est le Kiai, le cri interne, le souffle-énergie. Car Tomokazu pratique le tennis de table comme un art martial. Car oui, le ping-pong est un combat. Une lutte à mort. Et quand HARIMOTO assène un coup qui fait mal à son adversaire, ce hurlement lui permet de vider ses poumons, et son esprit. La maîtrise de cette colonne d’air vital lui permet de rassembler toute son énergie créatrice et destructrice. Et lui permet d’atteindre un niveau de concentration ultime. Comme au Karaté ou au Kendo.
Et puis ces cris, franchement, c’est pas mal : ça met un peu d'animation, de volume sonore, et de fight dans les compétitions. Au moins il se passe quelque chose. Sinon c’est l’ambiance trop calme et policée so british, que l’on ne peut partager qu’avec les vieilles rombières britanniques à l’heure du thé. Alors, non merci... Le ping-pong c’est la vie. Et il faut que ça frite, que ça gueule, que ça pétille!
Bon ok, on veut bien l’admettre, peut-être qu’en hurlant à la fin des points, Tomokazu casse un tout petit peu les oreilles, et les burnes, de ses adversaires. Ça, ça s’appelle la guerre psychologique. Mais contrairement aux américains lors de leur passage au Vietnam, il ne met pas « La Chevauchée des Walkyries » de WAGNER à fond sur son auto-radio pendant le match. Et il demeure extraordinairement respectueux et poli. Jamais il ne crie en regardant son adversaire droit dans les yeux, et en serrant le poing (spécialité de certains ). Mais il tourne toujours le regard vers son coach, ou vers les cieux.
Mais en regardant vers le haut ça n’est pas Dieu qu’il regarde. Juste la première place mondiale.