Le blog amiénois du ping
Un petit coin de table, une arête, un filet, une balle tranchée, un coup n’importe-nawak mais qui rebondit miraculeusement sur la table…Voilà. C’est ça la Chatte à Mireille...
Mille mots ou expressions peuvent la qualifier. En fonction de la géographie et de l’ethnie pongiste dans laquelle tu évolues. Sa caractérisation sera toutefois presque toujours précédée du classique « Mais putain !...suivi de :
- quel cul ! »,
- quel pot ! » (1955, old school)
- quel bol ! » (1965, old school)
- quel veinard ! (1945, very old school)
- quel chatteux ! »,
- quel chattard ! »,
- quel cocu ! », (Feydau, 1894)
- quel enculado ! » ,
- quelle moule ! »,
ou, plus long :
- il a le cul bordé de nouilles ! », (Campagne Barilla 1984)
- il en a ! »,
- il n’a que ça ! »
- ….
La liste n’est pas exhaustive. Même si on n’a pas souvent entendu « Palsambleu, mais ce gredin bénéficie d’une réussite insolente ! ». Mais probablement uniquement parce qu’on n’a pas suffisamment joué contre monsieur de FURSAC ni Stéphane BERN.
- Etymologiquement, comment est-on passé « d’avoir de la chance » à « avoir de la chatte » ? Après avoir passé des centaines d’heures dans les archives de la Bibliothèque Nationale, et sur les grimoires poussiéreux d’abbayes et de monastères, puis après avoir surfé une minute sur Internet, on peut te dire que personne ne sait... A priori on a lentement glissé, au cours des siècles, de « avoir de la réussite » à « avoir du pot », puis du « bol », en passant par du « cul ». Et enfin, probablement par proximité géographique, aux organes sexuels féminins.
« La Chatte à Mireille » par contre, résulte d'une contribution récente du rappeur Seth GUEKO. Par l’intermédiaire d’un opus paru en 2013, avec l’accent et le vocabulaire des caves du 9.3. : https://www.youtube.com/watch?v=LIvWfq1HUEg&list=RDLIvWfq1HUEg&start_radio=1. Des paroles niveau CP mais du son, du flow, et un rythme lancinant. Qui aura quand même eu le mérite de faire passer le petit félidé de Mireille à la postérité.
- La Chatte à Mireille lors d’un match de ping-pong ?
Tu le sais déjà. Au cours d’une rencontre le petit animal sort de sa tanière, comme ça. Sans prévenir. Sans jamais s’annoncer. Rarement, au final, mais toujours à l’improviste. Et seulement s’il en a envie. Une visite impromptue en fait. Mais elle provoque chez l’adversaire qui la prend de plein fouet, et vient de se faire carotter un point, une réaction épidermique et catatonique. Il se fige. Ses muscles se rétractent. Pour un peu il reprendrait presque la position fœtale. Il souffle comme un bœuf désespéré, venant d’arriver à la porte de l’abattoir. La bouche grande ouverte, les yeux exorbités, il regarde le sol, vers les cieux, ou dans le vide. Et enchaîne même parfois les trois visions d’affilée : le super combo… Victime hébétée, un Jésus Christ aux petits pieds, mais sans les bras écartés. Descendu temporairement de sa croix pour jouer au ping-pong. Et psalmodiant, que « Putain, c’est vraiment incroyable, et c’est vraiment pas juste de se faire gratter comme ça …».
Combien de fois es-tu sorti du match, psychologiquement et mentalement, pour un léger coin de table, ou un tout petit filet ? Et pourtant la carotte à 1/0, intrinsèquement, est la même qu’à 9/9.
Mais son retentissement psychologique est différent. Surtout, selon que l’on joue en Hérain, ou en pro. Car le joueur professionnel, lui, s’est forgé un mental dans l’acier des salles de muscu et des opens. Alors qu’en Hérain, il s’est forgé dans le carton des verres de la buvette. Le pro enchaîne les points un par un. La carotte fait partie du jeu. Comme un top frappé ou un service gagnant. Pour preuve, les chinois ne s’excusent, pour certains, même pas après une balle chanceuse. Pour quelques observateurs, juste la traduction de la légendaire fourberie asiatique. Pour d’autres, simplement un point comme un autre, un épiphénomène. D’ailleurs regarde le nombre de balles-filets ou balles-coin de table qu’ils sont capables de remettre. Leur placement, leurs réflexes, leur toucher de balle et leur sens de l’anticipation le leur permettent. Alors qu’en Hérain…On commence à chialer dès que la balle a touché le filet. Et la raquette est déjà jetée en l’air, à peine l’arête touchée... Certaines balles demeurent néanmoins inremettables même pour les shoguns du tennis de table. Tu ne peux pas toujours lutter contre les lois de la gravité et de la physique. Certes, ça les fait suer. Mais on passe au point d’après. Comme les êtres froids, méthodiques, calculateurs et sans pitié, qu’ils sont devenus : des contrôleurs URSSAF du ping en fait.
Alors qu’en Hérain…La balle qui tape le filet, c’est déjà un tsunami émotionnel. Et le coin de table, une petite fin du monde... On chiale. On pleure sur son sort. Mais on trouve quand même toujours les ressources pour insulter l’adversaire.
- Peut-on gagner son match uniquement grâce à la Chatte à Mireille ?
Tu sais bien que c’est faux. Car statistiquement, au cours d’un match, souvent ça s’équilibre. Même s’il existe quelques exceptions, les lois du hasard et des suites aléatoires s’appliquent en général. Mais certains points grattés font plus mal que d’autres. Surtout quand tu es déjà à la peine, ou marqué psychologiquement, et au fer rouge de la raquette de ton adversaire. Certes le style de certains enculado se prête plus au grattage. Forcément ceux dont la balle passe régulièrement au ras du filet, avec moult énergie cinétique et rotasse. Ceux-là ont plus de chance de taper l’élastique du slip du filet. Pas besoin de faire un test du chi2. Le petit p sera forcément inférieur à 0.005 et significatif... De même pour ceux qui jouent long, ou les angles : les coins de table sont plus souvent leurs amis…. Mais en fait, c’est surtout que ces Mother fucker du top spin ont pris l’initiative avant toi. Et te mettent sous pression. Quand tu subis, c’est plus douloureux de prendre une grattoune. Et c’est aussi plus simple, et plus réconfortant pour l’égo et le moral de se retrancher derrière le « Je n’ai perdu que parce qu’il a eu que la chatte à Mireille tout le match !!!!»… Alors qu’en fait tu as surtout joué avec le mental et l’intelligence d’un sac en plastique toute la partie.
- Inversement, qu’est ce que ça fait d’avoir la Chatte à Mireille de son côté ?
Ben, ça fait plaisir. Forcément. Quel bonheur de pouvoir parfois caresser ce petit animal. Du point gratuit ! Et qui fait mal à l’adversaire ! Toujours bon à prendre ! On s’excuse en levant la main, ou l’index (alors qu’en fait on souhaiterait plutôt brandir le majeur). En prononçant un tonitruant « Vraiment désolé ! ». Mais qui sonne toujours faux, parce qu’on est en fait très peu à avoir eu la chance de suivre des cours de comédie à l’Actors Studio. On fait mine de faire amende honorable. Alors qu’en fait, et en réalité, on conchie l’adversaire, ses parents, ses grands-parents, les parents de ses grands parents, sa descendance sur 1000 ans. Ainsi que son chien.
La rumeur dit toujours que certains auraient gagné une rencontre en croquant les 3, 4 ou 5 derniers points. Probablement une légende urbaine. Jamais vu ça. Mais on se plait à l’entretenir !
- Faudrait-il légiférer pour bannir définitivement la Chatte à Mireille des matchs de ping-pong ? Certains esprits supérieurs souhaiteraient faire annuler les points filets/coins de table. Par souci de justice et d’égalité… Les pleutres ! Les lâches !
La balle grattée c’est l’essence même, la substance primitive, du ping-pong. Sans elle, pas de pétage de cable. Pas de hurlements désespérés. Pas d’insultes. Plus d’histoires à raconter au coin du feu, à tes petits enfants. Ou à tes copains de beuverie (qui c’est vrai, sont les mêmes si tu habites le Nord-Pas de Calais). Plus de polémiques non plus sur « Mais non, jamais elle ne touche le bord de la table !!! » ni sur le « Mais non la balle a frappé le bord latéral, sans toucher l’arête !!! » avec moult reproductions de la trajectoire de la balle, prise entre le pouce et l’index par ton adversaire, et qui simule le trajet virtuel balistique encore mieux que le mime MARCEAU.
Ce qui est bien c’est que la Chatte à Mireille te ré-instille un peu de chaos Nietzschéen dans cet univers trop policé et trop régulé des sets en 11 points. Elle met le bordel dans la partie et au sein de tes réseaux de neurones plus ou moins connectés.
Puisse-t-elle donc s’inviter encore longtemps lors des parties de ping-pong.
Les balles chattounées sont là pour te rappeler que le tennis de table, c’est pas juste.
Car la vie est injuste.
Et le ping-pong, au final, c’est la vie…