LE LIBRE ARBITRE

Il est le gardien des Règles du Jeu. Il est le garant de l’Ethique et de la Morale. Il est le Metteur en Espace du match à venir. Il est surtout là pour te faire jouer. Et pour qu’une rencontre de ping-pong ne se déroule pas comme un match de foot, comme un tournoi médiéval, ni comme une fin de banquet chez les Néanderthaliens, quand on se mettait à manger les invités.

Oui, il est l’Être de lumière avec qui tout commence. Et tout finit.  

Il est le Jihahin.

Il est l’Arbitre de Tennis de Table.

Là, c'est pas match perdu ?

Comment devient-on arbitre de tennis de table ?

On ne naît pas Arbitre, on le devient. Classiquement avec deux parcours :  en ayant été un ex-joueur, ou après avoir été le parent du précédent.

- Ça débute souvent comme dans un conte de fées. Avec l’enfant en guenilles ayant échappé aux Ogres dans la forêt, ou l’orphelin échappé de chez les Thénardier, qui pousse la porte d’une salle de tennis de table. L’ambiance, l’atmosphère, la luminosité du lieu et des êtres qui la peuplent, l’éblouissent dans un premier temps. Et lui réchauffent le cœur. Il prend une raquette dans la main, une balle dans l’autre. Et il se sent électrisé. Et tellement bien… Mais très vite des courts-circuits apparaissent! Lors des séances de montantes, ça stagne au fond, généralement sur la table prés des toilettes. Quand on est impair, ça reste plus que de coutume sur le banc. Ou sur la chaise. Mais si l’entraîneur a l’idée de sortir un marqueur pour occuper le petit être désœuvré, alors c’est la révélation. La ronde des chiffres tournoyant devant les yeux, la structuration d’une partie jusqu’alors totalement désordonnée, lui irradient les neurones et la rétine. C’est décidé, il sera arbitre !

Jeune, mais déter

- Le parent d’un petit joueur peut lui aussi basculer du côté obscur de la Force, vers l’arbitrage. Au départ pour comprendre, puis pour s’occuper lorsqu’il conduit l’héritier sur les chemins des compétitions de ping. Oui, pour appréhender ce sport auquel il ne comprend rien. Et pour découvrir pourquoi des hommes d’âge mur se mettent en plein match à parler aux murs ou à leur raquette, et commencent à shooter les sépas et  insulter leurs mères parce qu’une balle aurait frôlé le coin de table. Les mêmes parents qui seront également intrigués par le fait que 12 tables sont libres, mais que l’Homme au Micro ne lance aucune rencontre alors que 25 gamins sont assis dans les tribunes. Et qu’on va quitter la salle à 22h30, après n’avoir joué que 4 matchs.

Brochette d'arbitres

Les prédispositions génétiques arbitrales

- Tout le monde ne peut pas être arbitre de tennis de table. Il faut des joueurs. Ou alors les arbitres vont devoir s’arbitrer entre eux. Et ça n’aurait aucun sens. Une ligue d’arbitres ça n’existe pas. Ou alors ça s’appelle la Ligue des Hauts de France.

Certains naissent quand même avec déjà des têtes de JA2

- Intrinsèquement, l’Arbitre doit être un adepte du Bouddhisme et de la Zénitude attitude. Être calme, avoir des qualités d’apaisement, et de réflexion. Oui, tu auras noté que le juge-arbitre aura souvent, dans sa vie d’avant, joué avec un picot long.

Shiva, la déesse de l'arbitrage

- Il doit également savoir lire et écrire. Ce qui est un élément ultra-limitant. Notamment en Picardie. Car l’arbitre sera un des seuls initiés à s’être enquillé les 200 pages des règlements FFTT. Ecrits petit, et sans images. Car oui, on fait un sport sans jamais en avoir lu les règles ! Et on gueule dés que l'arbitre nous dit qu’il ne faut pas poser la main sur la table, qu’au bout de 3 lets, non, l’adversaire en face qui sert n’a pas perdu le point, et qu’à 7/0, non, on n’a pas gagné le set…

Zen et masqués !

- Un petit côté obsessionnel arbitral est appréciable : chaque chose à sa place, et chaque place à sa chose. L’Arbitre est aussi là pour remettre un peu d’ordre dans le chaos Nietzschéen des salles de ping-pong et des rencontres. Et pour bien ranger ses crayons dans sa trousse sur son petit bureau. Avec le stylo 4 couleurs, super pratique, posé à droite de la feuille de match. Et la règle à gauche.

- Forcément il faut aimer les chiffres et les tableaux Excel. Une expérience d’expert-comptable, de contrôleur URSAFF ou des impôts est souvent un petit plus.

J'aime les chiffres, je suis arbitre

- Et puis le cortex neuronal et cérébral de l’arbitre doit aimer la discipline et l’organisation. Le passage dans une école militaire pourrait être appréciable. Mais attention, une trop grande austérité, une attitude ultra-cléricale, ou extrême-droitiste passeront très mal. Punaise, on est aussi là pour jouer, pour ping-ponguer. Et pour se marrer !

Là, ça va tout de suite moins rigoler

La formation d’arbitre de tennis de table

Le chemin est long.

- Ça commence par des formations d’arbitre de club, puis régional. Avec des weeks-ends entiers montés par les comités départementaux et régionaux, associant théorie et pratique. Pour l’inscription souvent obligé de vendre un rein. Ou alors d’hypothéquer la maison. Car oui, c’est un peu cher.

Et le cursus est ensuite très scolaire. Avec les documents réglementaires à lire (et à apprendre !), les cours théoriques avec d’interminables power-points et interrogations au tableau. Punaise, on a l’impression de repartir avec madame PIMBERT au CM2 ! Et bien sûr ça finit par un examen et une validation qui file les chocottes, avec des QCM du niveau du Massachussets Institute of Technology de Boston :

-  « Quelle est la hauteur du filet au tennis de table : a/15.23 cm b/15.24 cm c/15.25 cm d/15.26 cm »

- « Lors d’une rencontre de Hérain un joueur quitte la salle et part au bar d’à côté. Il revient pour rejouer le double au bout d’une heure : a/ Vous le laissez jouer. b/ Vous l’excluez de la rencontre. c/ Vous repartez au bar avec lui. d/ La réponse d. »

Alors bien sûr fréquemment  les impétrants n’ont pas la moyenne à l’examen. Surtout si tu as moins de 13 ans. Un peu triste de détruire dans l’œuf des ébauches de volonté d’intégrer le corps arbitral, surtout quand on connait la densité des effectifs, et pour au final, au stade d’arbitre club ou régional, n’avoir comme seule responsabilité que de tourner les palettes du marqueur... Mais c’est ainsi, les formateurs ont parfois un cœur de pierre, et ils pètent la gueule des plus faibles : Dura lex, sed lex. La loi est dure, mais c’est la loi : c’est du latin. Aucun rapport avec des verres en pyrex.

Quand le formateur t'indique la sortie

- Les épreuves pratiques c’est plus sympa. Tu es jeté dans le feu, avec tes petits cartons rouge, jaune et blanc. Tu fais le tirage au sort. Tu annonces les scores. Tu lèves le bras. Tu lances le chronomètre. Et à 10 heures on fait une pause. Pour manger des tranches de pain au pâté, avec des grands verres de vin rouge à 14.5°C. A 12 ans, ça tabasse… Mais ça y est. Tu es enfin arbitre.

F. 15 ans, et début de cirrhose

- Puis, si tu survis à ces deux premières épreuves, à ta majorité, tu pourras alors postuler à la carrière de Jihahin. Les shoguns de la table d’arbitrage, les samouraïs du marqueur. Les seuls ayant le pouvoir d’arbitrer des rencontres de la catégorie Régionale à Nationale. Là, le cuir doit être plus épais. Plus dur aussi. En plus d’une maîtrise correcte de l’orthographe et de la langue française, désormais il te faudra les compétences d’un informaticien de la NASA, et être capable de se connecter et de maîtriser les outils GIRPE et SPID2 : les logiciels du Mal, et du Démon…

Michael, arbitre 2.0

Mais surtout, tu devras être capable de gérer Jean-Marc, qui arrive à 2 grammes, 30 minutes après le début de la rencontre, qui veut jouer en jean, qui pose sa canette sous la table, et qui réclame 4 temps mort par match. Ou Jean-Paul, qui porte le maillot de l’OM et qui vient de mettre un coup de tête à Pascal, car il venait de lui dire « Merci ! » sur un service raté… Oui dans le cursus d’arbitre de tennis de table, il conviendrait d’ajouter quelques formations supplémentaires : en psychiatrie, en thérapies comportementales, et avoir quelques cours dispensés par les négociateurs du GIGN.

Elégance et arbitrage

- Avec les années, et des formations supplémentaires, la gestion parfaitement maîtrisée d’épreuves régionales puis nationales, l’élite de l’arbitrage pourra accéder au statut de Jihadeux puis de Jihatrois. Avant de se mettre à l’anglais et devenir The International Umpire ! La crème de la crème arbitrale.

Arbitrage mimi

Vis ma vie d’arbitre

Entre temps l’Arbitre aura parcouru la France du ping-pong, dormi dans moult hôtels Ibis, Campanile et Kyriad, mangé dans tous les Flunchs de Navarre, et avalé plus de cubi que le Languedoc-Roussillon ne pourra jamais en produire. Il aura réglé la hauteur de centaines de filets, remis droites des dizaines de séparations, contrôlé un nombre infini de raquettes, tourné des milliers de fois les palettes des marqueurs, chopé une tendinite de l’épaule à force de tirages au sort, de lever le bras, et d’envoyer les cartons. Mais au final, il aura serré la main de centaines de joueurs, et acquis leur respect, malgré quelques rares prises de tête et de becs.

Arbitre bricoleur

Car si les pongistes français passent une bonne partie de leur temps à moquer ou railler les arbitres (déjà parce qu'ils sont français, et que par définition, ils doivent critiquer l’autorité sinon ils meurent), ces mêmes pongistes tricolores ont quand même bien conscience du caractère essentiel et vital de la fonction. Et que sans arbitre, et bien pas de compétition. Et plus de ping-pong !

Et s’il existe forcément quelques abrutis, dans leur immense majorité la communauté des gens du ping-pong sont comme les routiers de Max MEYNIER : au final, bien sympas.

Et sur ce parcours d’une vie d’arbitre, ce n’est pas au final la destination qui aura compté. Mais les gens avec qui tu auras voyagé.

Encore merci à toi, Monsieur le Jihahin.